mardi 16 octobre 2012

17 octobre - de 50 à 500 000

Précédée des bruits et gloussements qui font les succès, voilà la traduction française de Fifty Shades of Grey ("Cinquante nuances de Grey", banale perte du jeu de mots - aurait-il été meilleur de traduire le nom du héros en Gris?). Il fallait que ça arrive: la collection Harlequin à la sauce porno soft (il est loin le temps où la modeste héroïne ne pouvait même pas se laisser embrasser par son viril et intraitable amoureux). Et le triomphe incroyable: 20 millions d'exemplaires aux États-Unis pour les 3 tomes, traînée de poudre (oups, mauvaise blague) en Angleterre, en Allemagne... En France, les éditions Lattès en espèrent autant. Et sans doute ça va marcher : Isabelle Laffont, l'éditrice, explique que trois ingrédients y concourent, l’érotisme, le romantisme et le suspense. Ah Isabelle, copine d'enfance (son père et ma mère étaient amis), tu avais justement jugé les scènes érotiques de mon roman trop timides - avec raison! Le roman est resté dans les cartons. 
couvertures de la trilogie
Le résumé des Cinquante nuances, fait comprendre en deux lignes pourquoi ça marche :  la ravissante héroïne, encore vierge, est impressionnée par le regard intense et le corps de rêve de son patron (le fameux Grey)... L'érotisme littéraire ou cinématographique est-il voué aux clichés? Sans doute, puisqu'il obéit à des codes, efficaces, largement partagés, assez lourds - surtout lorsqu'ils déclinent les lois du SM. Ces codes appartiennent-ils à un inconscient collectif? C'est bien possible. Alors pourquoi me fâchent-ils? Peut-être parce que je m'y sens niée en tant que personne unique, à la sexualité unique... Arrogance.
La recette des Cinquante nuances a l'air de tenir à l'équilibre du "soft": pas trop dangereux, là, de se laisser aller à quelques fantasmes. L'expérience a toutes chances de titiller agréablement, sans le risque d'une rencontre bouleversante, comme Les Onze mille verges ou les Amours d'un hospodar de Guillaume Apollinaire, Histoire de l’œil de Georges Bataille ou, pire, Tombeau pour cinq cent mille soldats, de Pierre Guyotat. De la véritable littérature, qui promet plus que l'excitation, la jouissance, grâce à son ressort majeur : l'effroi.

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